Dans mon école, on sort à peine du minitel, il ne faut pas trop en demander ! Mais un beau jour, des techniciens envoyés par la Providence ont installé un simili écran de cinoche géant dans une salle informatique qu'on pilote depuis un PC qui commande tout.
Ni une ni deux, j'ai décidé d'y emmener mes élèves pour aller se promener sur ... GOOGLE EARTH !
À peine le chargement terminé, ils étaient scotchés ! Voir ainsi le globe terrestre, que je m'amusais à faire tourner comme une toupie tel un dictateur comique, les a spontanément fait rigoler. On a atterri sur l'Antarctique à ce jeu de la roulette.
Nous avons un peu regardé : le blanc des étendues glacées et des montagnes, le jaune des déserts (il n'y a pas que le Sahara), le vert clair des prairies et le vert foncé des forêts, notre Europe sacrée, et puis bien sûr le bleu intense de l'eau, surtout du Pacifique qui occupe presque l'entièreté de la sphère si on se place dans le bon angle de vue !
Eux ne se doutaient pas que le clou du spectacle était la puissance du ZOOOOOOOM !
Donc, hop, je m'approche de l'Europe.
On observe un peu l'Italie, en forme de botte qui tape dans le ballon Sicile, la péninsule ibérique, l'île de la Grande Bretagne, et puis la France, avec cet arc des Alpes qui s'enfonce dans les terres du milieu..
On situe quand même au passage les littoraux : la Mer méditerranée, l'Océan atlantique, la Manche (où se jette la Seine, quand même !) et la Mer du nord...
Les cartes sont belles, l'Europe est belle, et qu'il est beau notre Hexagone...
Si on regarde bien, on voit que dans la moitié nord du pays, au milieu, dans un point, c'est un peu moins vert. Un peu gris bizarre ! ==> la région parisienne pointe de bout de son nez.
ALORS ON ZOOME !
Ici on voit des choses, toutes ces habitations au milieu, et puis, les aéroports qu'on devine bien, Roissy en haut, Orly en bas, avec les pistes, blanches, qui rayent un peu la carte....
En s'approchant, il y a les bois de Boulogne et de Vincennes, de chaque côté du cercle parisien !
Et on avance, tout doucement, au-dessus de notre arrondissement, on se repère, comme on l'a déjà fait sur une vilaine carte papier, et puis...je décide d'incliner la vue en 3D.
Les "ôôôh" d'émerveillement retentissent, en voyant la place de la Concorde, obélisque au premier plan, la Madeleine en arrière-plan.
On se promène jusqu'à l'arc de Triomphe, toujours sur l'écran géant, et avec le beau spectacle des tours de la Défense en ligne d'horizon...
Ils ont les yeux grands ouverts, j'annonce qu'on va chercher l'école, maintenant !
Ils sont presque incrédules, ils n'y avaient peut-être pas pensé, ha !
On la distingue d'un peu loin et je dis, "et si nous zoomions sur la cour ? on va même voir les lignes blanches sur le sol !"
Et là, Louise, interloquée, demande : "et le panier de basket ??? on va voir le PANIER DE BASKET MONSIEUR ??"
Je dis : "oui, Louise. On va voir le panier de basket".
Je fais rouler la molette sous mon doigt en plein suspense jusqu'à ce qu'on voie la cour, les lignes blanches... et le panier de basket qui était pour Louise le summum.
On devine le préau, les toilettes, "la cour des maternelles", et même, "notre salle de classe", ainsi que "la salle informatique où nous sommes maintenant". Dans leur cerveau d'enfants, ils sont pas tous bien au clair sur le fait qu'il s'agisse d'une photo, certains ont l'air de penser que si on ouvre les fenêtres on va se voir en direct sur l'écran géant et j'ai presque envie d'entretenir ce doute...
Et puis alors soudain, hop hop hop, j'annonce qu'on est bien peu de choses sur Terre et je repars en zoom arrière qui nous ramène face au globe ! puis je replonge ! au-dessus de la cour, en quelques secondes.
Je leur montre deux ou trois choses encore, comme les avions garés en étoile dans les aéroports, avant de les laisser explorer à leur tour, sur les différents PC.
"C'est trop bien, s'exclament-ils".
Évidemment, avant, j'ai pris soin de leur faire désactiver toutes les légendes (carte vierge, faut cocher) pour les placer face au globe et leur demander de trouver eux-mêmes Paris puis l'école.
Quand ils trouvaient ils devaient m'appeler, puis après ils voulaient "voir leur maison", se promener, etc.
Louise avait cliqué sans faire exprès sur Google Street View et voir deux personnes âgées aux visages floutés se promener dans la rue semblait être la chose la plus drôle qu'elle ait jamais vue.
Je les ai laissés s'amuser, manipuler un peu le mulot, comme disait Chirac, en pensant à tous ces cartographes de l'Antiquité, à Christophe Colomb, au fait que nous sommes des nains sur des épaules de géant.
Personne n'avait entendu la sonnerie dans cette salle excentrée, ni même remarqué qu'il était l'heure depuis au moins trois minutes.
Louise faisait rouler la Terre.
« Roule, grande boule, fourmilière de consciences, Terre, roule, teintée d'aurore, chapée de crépuscule, d'aplomb, sous les soleils, nocturne, roule dans l'espace abstrait, dans la nuit à peine éclairée, roule... »