En sortant des vestiaires après la piscine, c'est la panique : Paul, Jessica et Noémie ont perdu leurs masques obligatoires. Ils se sentent en faute et se demandent s'ils vont pouvoir prendre le car pour rentrer à l'école avec les autres !
Trois semaines déjà que mes élèves de 9 ans portent en classe leur muselière républicaine. Chaque matin, comme cela me fait un peu de peine de les voir ainsi bridés, je les félicite sincèrement pour leur grand sérieux et leur courage dans la drôle d'épreuve. En effet, à mon réel étonnement, ils sont beaucoup plus rigoureux que ces quelques mufles adultes des transports en commun, qui laissent volontiers dépasser leurs gigantesques naseaux...
Entre nous, je crois que, même sans mes paroles positives, ils seraient coopérants, parce que fiers. Fiers de faire comme les grands et de participer au formidable jeu du masque obligatoire auquel jouent depuis des mois leurs parents, leurs professeurs, les commerçants, l'ensemble de la société... Ils ont vu tout ça depuis le banc de touche et maintenant, à leur tour, ils sont de la partie. Alors ils s'impliquent, studieusement, et ont à cœur de respecter.
Dès le premier jour, je leur ai expliqué que cela me faisait tout drôle de les voir ainsi. Qu'aujourd'hui nous avions vraiment l'air d'être dans un film de "science-fiction", mais qu'un jour, quand tout cela sera derrière nous, on en rira de bon cœur. Et sans doute que ce jour viendrait beaucoup plus vite qu'on ne le pense.
Chaque semaine je dis "bravo ! on a déjà fait 5 jours d'école, ça passe vite finalement !".
Paul, Jessica et Noémie cherchaient donc leurs masques partout dans les vestiaires.
"Oh ! un masque dans le casier ! c'est le mien ?!" "Mais non !" "Si !" Tricheuse ! Voleuse de masque !" "T'as confondu avec le MIEN !! Monsieeeuuur, elle porte MON maaasque !!!!" "Menteuse, on l'a trouvé par terre !". "C'est même pas vrai, on a acheté le même à Monoprix, le blanc avec les cerises" !
Il y avait déjà le problème thermo-nucléaire consistant à relier chacune des 24 Stan Smith blanches et vertes entassées sur le sol à son propriétaire légitime (avec 11 pieds gauches et 15 pieds droits), nous avons maintenant le casse-tête des masques que les élèves eux-mêmes manipulent comme s'ils tenaient au bout des doigts des flacons de nitroglycérine instable.
"Et si je mets mon blouson devant la bouche comme ça, peut-être que je peux prendre le car ?"
Voilà Paul prêt à se coudre une capuche sur la face pour ne pas être abandonné dans la forêt.
Comme toujours, j'ai envie de rire, mais je ne peux pas !
Ces enfants nouvellement germaphobes (phobiques des microbes) prennent tout cela très au sérieux. Ils me regardent derrière leurs vestes-barrières et attendent une solution, une décision du chief executive professeur.
"Bon, écoutez-moi les trois sans-masques-sans-papiers-clandestins, vous allez monter dans le car, mais attention, vous devrez vous asseoir seul, sans voisin à côté ! Le masque est notamment là pour ne pas se postillonner dessus, les enfants. Donc, sans voisin, nous limiterons le risque, et dès notre retour en classe, hop, vous mettrez votre masque de rechange de l'après-midi, compris ?".
Ouf, j'en appelais de nouveau à une mission commando et à leur sens de l'honneur, la comédie-narration reprenait et ils allaient pouvoir continuer de tenir leur rang, afin de sauver la planète du confinement éternel. Le savant-fou Olivier Véran, et son acolyte maniaque Jérôme Salomon, n'avaient qu'à bien s’tenir.
Paul, Jessica et Noémie ont finalement retrouvé leurs masques pédiatriques dans leurs poches au moment de monter à bord du car.
Derrière les masques et les lunettes pleines de buée, derrière les gros manteaux et les sacs de piscine posés sur les genoux, derrière les cache-cous et les cache-oreilles, derrière les bonnets à pompon et les écharpes à grelots, je sentais chez mes lutins un certain soulagement : la classe rentrait au complet et personne n’avait été abandonné dans la forêt.